des idées de lecture

Chaque mardi, un petit conseil de lecture sur cette page

Saisons, Mario Rigoni Stern


Pour le mois de l’environnement, j’ai décidé de vous faire découvrir ou redécouvrir un des plus grands écrivains italiens contemporains, Mario Rigoni Stern. On part donc en Italie, sur le Haut Plateau d’Asiago en Vénétie, durant le XXe siècle, pour contempler la vie et la Nature au fil des saisons.
Nous débutons le roman lors du retour de l’auteur, après la campagne de Russie, en janvier 1943. Le livre se découpe en quatre parties, comme vous l’aurez compris au vue du titre, ainsi nous commençons en hiver et suivons l’écoulement du temps sur une année entière.
C’est à travers les descriptions poétiques et délicates de la Nature et de ses secrets que le narrateur fait part de ses souvenirs d’enfant et d’adulte, des épreuves qu’il a traversé lors de la guerre mais aussi des instants de partage avec sa petite fille sur tout ce qu’il sait. Cet écrit illustre en parallèle les tourments de la vie à cette époque, l’état d’esprit, les préoccupations et les sujets d’actualités.

Un roman naturaliste avant tout

L’écrivain décrit d’une manière quasi scientifique tous les aspects de la Nature qu’il rencontre dans sa région natale. Il ne s’agit pas là d’une simple contemplation passive du Monde environnant, mais nous avons accès à une véritable fresque vivante. Les sons de la nature y sont partie intégrante, les odeurs de la nature à chaque saison et les impressions rendues, nous plonge entièrement dans un état de respect et de fascination pour l’œuvre de la nature et de son  évolution. « Les sens et l’imagination vous aident à découvrir le printemps de la forêt : il est mystérieux, secret, vivant. »
Néanmoins, ce livre nous alerte sur les bouleversements du climat et les répercussions, déjà  à cette époque, sur la faune et la flore, qui devant les yeux de l’auteur se modifient avec les années. Il s’agit d’une réflexion lucide sur les pratiques agricoles et la vie des hommes. La lecture de ces pages nous mène au constat implacable que nous n’avons toujours pas appris de nos erreurs et que la Nature subit encore les mêmes préjudices, bien que « pendant le déroulement des saisons, la nature peut enseigner tant de choses ».

C’est un ouvrage à lire et relire, à faire découvrir, à partager, pour donner envie au monde de se préoccuper de la Nature et de pouvoir la contempler encore et encore des générations après nous. Un livre d’une grande clairvoyance écologique et d’une écriture sublime pour inculquer le respect de la Nature. Sans elle il n’y aurait rien. Un livre plein de bonheur de vivre et riche d’enseignements. Apprenons à écouter la Nature.





4. Le bâtisseur, Thierry Vila


Changement de lieu pour mon choix de livre cette semaine. Nous partons en Italie pendant la deuxième partie du XVIIe siècle. Mais pas de changement de registre, la force des mots pour retranscrire les sensations, la beauté du monde, l’art y demeure.
Ce roman est une biographie d’un sculpteur méconnu et rival malheureux du Bernin, Francesco Borromini. Nous partageons les vingt-six dernières années de sa vie jusqu’à son suicide en août 1667.
En parallèle de ce portrait nous saisissons plus ou moins facilement la mentalité, les croyances, et le mode de vie à cette époque en Italie, une époque de crise remettant en cause tous les fondements jusque-là inébranlables. Le siècle des Lumières est sur le point de voir le jour et la pensée rationaliste insinue le doute sur de nombreux sujets, et notamment pour les artistes comme Borromini, très lié au domaine religieux. Ce dernier point jouera un rôle presque décisif dans son acte désespéré d’août 1667.

Le tourment de la création

Thierry Vila nous livre les angoisses et difficultés de la création artistique allant jusqu’à l’obsession du créateur pour son œuvre, la recherche de la perfection et du dépassement de soi.
L’intensité de l’écriture et les envolées descriptives de l’architecture de cette époque nous laissent rêveur et nous enchantent, sentiments contradictoires avec la souffrance de Borromini. Il ne sera jamais reconnu à la hauteur de son talent, durant son vivant. L’épilogue de la vie de Borromini est un témoignage de la fin d’un type d’art qui aura perduré cinq siècles, l’art religieux italien.
La correspondance épistolaire du sculpteur et les descriptions des périodes soutenues de travail et de recherches nous dévoilent un esprit tourmenté, très au fait de son époque. Sa vision du monde qui l’entoure se fait par la voie de l’art, loin de la pensée cartésienne. Il transmettra cette vision à ceux qui le côtoient et qui veulent le comprendre, comprendre son art. Nous nous laissons envahir par ce mouvement d’esprit, même une fois la livre refermé, tant la passion qui s’en dégage est grande.



La trajectoire d’un homme, la vie d’un artiste à travers le prisme de l’évolution de la pensée et du monde, voilà ce que nous propose ce roman. C’est un livre qui fait écho aux crises mondiales que nous traversons, mais empreint de beauté architecturale. Même si nous ne sommes pas connaisseurs ou compétents dans ce domaine, la découverte d’un art et le style littéraire employé donnent une impulsion et un élan extraordinaires à la lecture. A découvrir !




3. Tout le monde s’en va, Wendy Guerra


Deuxième livre d’une des auteures que j’affectionne, Wendy Guerra.
Ce livre nous plonge dans les années 1980, à Cuba. Se sentir prisonnière de sa propre existence, découvrir la vie et grandir seule, voilà ce qui est consigné dans le journal de Nieve. Elle y note précieusement les événements marquants pour une vie, sa vie, à travers un univers troublé et troublant. Cette jeune fille est tiraillée entre son enfance où elle n’a jamais été enfant et le monde des adultes où l’enfant qu’elle a gardé en elle ne peut trouver de place sans souffrir. Elle grandira en se forgeant un modèle disparate et en perpétuel évolution car « tout le monde s’en va »  pour un ailleurs, la laissant seule pour forger sa vie.  Son journal est son seul point de repère.

Œuvre poétique

Par les pensées mais aussi l’éveil à la vie et au monde de Nieve, nous sommes témoins de la naissance d’une âme artistique et d’une conscience politique. Tous les mots semblent voler d’eux même pour nous emmener avec eux à Cuba et nous faire ressentir les joies et les désillusions de cette jeune fille. Notre conscience grandit avec elle et nous fait voir à travers un spectre poétique, notre propre compréhension du monde. Des vers, des strophes, des stances, des bribes de poèmes parsèment ce livre. Nous avons un autre point de vue de la vie à Cuba dans ces années-là, authentique et poétique, loin des fantasmes que nous pouvions avoir par notre culture mondialisée. Ceci fait écho, par opposition, aux fantasmes que les personnages de ce livre ont du vieux continent.


Nous sommes en plein dans le printemps des poètes, j’ai ainsi trouvé pertinent de parler de ce livre reconnue comme une œuvre poétique espagnole sans conteste. Une « jeune fille diaboliquement angélique de la littérature moderne» comme la présente El Pais, nous donne l’opportunité d’ouvrir nos consciences, de revivre notre propre  évolution et développement, notre passage de l’enfance  à l’âge adulte.

Un roman à lire pour se souvenir ce que nos enfants vont traverser dans quelques-années, et ce qui compte le plus dans ce monde, le soutien, la présence et l’amour des siens pour se construire et grandir. 

2. Mère Cuba, Wendy Guerra


Ce livre dresse les portraits d’une mère, Albis Torres, et d’une nation révolutionnaire à travers les yeux de leurs enfants et des bribes de souvenirs notées dans un journal retrouvé. Tous ces points de vue nous transmettent une vision unique des prémices de la Révolution et d’une héroïne méconnue, Celia Sanchez.
On remonte les traces de cette mère, de sa vie et de ses aspirations comme on mène une enquête, chaque personnage nous donnant des indices permettant de comprendre les méandres de l’existence de cette femme.

« Approcher la vie d’autrui ne fait qu’aiguiser notre méconnaissance de notre propre univers. C’est fascinant, on se perd et on commence à incarner le personnage que l’on cherche. Son sillage [celui de Celia Sanchez, ndl.] reste dans l’histoire des autres. (…) Elle ressemble à ma mère dont l’existence ne peut aujourd’hui être reconstruite qu’à partir de celle des autres. » Wendy Guerra

Un petit bijou d’écriture

Ce roman est empli de tendresse, de poésie, d’exotisme. Wendy Guerra joue avec les styles et manie de manière sublime l’écriture pour donner vie à ses personnages, et nous rendre dépendants de chaque mot, tant l’envie de découvrir ce monde est grande.
La complexité qu’elle fait ressortir avec ces procédés littéraires reflète avec exactitude les ambiguïtés que chaque femme/mère rencontre dans sa vie et son rapport à la société, ici Cuba. Mais nous pouvons aisément le retranscrire dans notre propre contexte. Nous volons d’un chapitre à un autre afin d’appréhender une partie de nous-même encore insaisissable, que l’on soit maman, ou fille. Les deux voies entremêlées rendent cet ouvrage puissant de par sa clairvoyance sur les sentiments de chacune.


Partez à Cuba dans cette période cruciale de pré-Révolution et découvrez les visages des femmes qui l’ont vécue à leur manière ou portent cet héritage. Cette œuvre nous dévoile l’âme de la nation cubaine et est un fantastique hymne aux femmes, écho insolent en ces temps de « parité » politique et sociale. 

1. Les douze tribus d'Hattie, d'Ayana Mathis


Non il ne s’agit pas d’un livre sur l’Inde mystérieuse ou les Indiens d’Amérique du Nord, comme le laisserait supposé le titre. Votre curiosité est piquée ?
Ce livre relate l’histoire d’une famille aux Etats-Unis, de 1925 à 1980. Rien d’extraordinaire jusqu’ici… mais le style et le point de vue adoptés en font un livre d’une justesse implacable. On traverse cette vie en empruntant les parcours des douze enfants et petits-enfants de la famille. Ces chemins sont jalonnés par la découverte des caractères de chacun, de leurs aspirations et désillusions, corrélés à l’évolution de la société américaine. Ces détours nous mènent à découvrir la figure maternelle dominante de ce clan, « Hattie », tiraillée entre ses « douze tribus » et son individualité.

Un livre qui nous apprend à voir notre mère sous une lumière unique

Le sacrifice perpétuel d’une mère pour ses enfants est récurrent dans ce récit. Cliché comme expression ? Non car nous comprenons rapidement que pour Hattie ce dévouement sans faille est l’aboutissement d’une guerre intérieure. C’est ce combat que nous confie le livre, au travers des yeux de ses descendants, et des quelques pensées d’Hattie disséminés dans le texte, saisies avant qu’elles ne soient chassées par la dureté de la vie. Grâce à ce roman nous pouvons appréhender, avec un regard nouveau et plus large, les sentiments de notre mère, les remettre en perspective de son propre être. Nous ne les concevrons plus à travers le prisme narcissique de nos yeux d’enfant.

Laissez-vous donc happer par ce livre, invitant à une réflexion sur notre vie, et sur les relations avec nos parents. La légèreté de l’écriture et la fluidité des mots rendent cet ouvrage envoûtant et attendrissant, et dresse le tableau vivant d’une nation qui évolue et se transforme comme Hattie.



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